Les éruptions solaires


La reconnexion magnétique

Avant de pouvoir parler d'eruption solaire il nous faut introduire une notion essentielle, la reconnexion magnetique. La reconnexion magnétique est le changement de connectivité des lignes de champs magnétique et est directement due à la dissipation de l'énergie magnétique. C'est le mécanisme de base de l'activité solaire, de l'émergence des régions actives à l'éruption. Nous avons vu au debut du cours que le champ magnetique est gele dans le plasma. Ce theoreme est valable a grande echelle. En effet, si l'on regarde a plus petite echelle, typiquement en dessous du rayon de gyration des electrons, le plasma et le champ magnetique sont decouple. C'est a dire que le champ magnetique peut se deplacer independamment du plasma. Le mecanisme de reconnexion magnetique apparait donc localement lorsqu'une region de diffusion se developpe a petite echelle.


Changement de connectivité

Une des propriétés de la reconnexion est le changement de connectivité. Sur la figure ci-contre, premier panneau, le champ magnétique est initialement anti-parallèle. Puis sur le deuxieme panneau les lignes de champ se rapprochent l'une de l'autre. Une région de diffusion se forme à la frontière. Les lignes de champs echangent leur connectivité dans cette région de diffusion. On peut visualiser cette reconnection comme des lignes de champ qui se brisent et se recollent à l'opposé. Cette description simpliste permet de comprendre le changement de connectivité.

Physiquement, le changement de connectivité résultant de la reconnexion magnétique n'est possible que pour un plasma magnétisé et à de petites échelles spatiales, inférieures aux rayon de gyration des particules chargées. Dans cette situation, le plasma et le champ magnétique sont découplés (trop loin et le théorème du gel n'est plus valide), c'est ce qui permet aux lignes de champ de perdre leur identité et de pouvoir localement changer de direction.

L'équation d'induction est l'équation qui définit l'évolution du champ magnétique. En exprimant l'équations de Faraday, \vec \nabla \times \vec E =-\frac{\partial \vec B}{\partial t} , en utilisant l'équation de Maxwell \vec \nabla \cdot \vec B =0 et la loi d'Ohm non généralisé : \vec E = -\vec u \times \vec B +\eta \vec \nabla \times \vec B , on obtient l'expression de l'équation d'induction : \frac{\partial \vec B}{\partial t}= \vec \nabla \times (\vec u \times \vec B)+ \eta \vec \nabla^2 \vec B. Avec \vec u la vitesse du plasma et \eta la resistivité électrique du milieu. Le premier terme est le terme d'advection et le second terme est le terme dissipatif.

Le régime physique d'un plasma magnétisé est défini par son nombre de Reynolds magnétique qui est le rapport entre le terme dissipatif et le terme d'advection, \frac{|\vec{\nabla}\times(\vec{u} \times \vec{B})|}{|\eta \Delta \vec B|} . La couronne solaire étant un très bon conducteur, la resistivité électrique \eta est petite et le reynolds magnétique est alors >> 1 : le terme d'avection domine. La reconnexion magnétique se développe lorsque le terme dissipatif est du même ordre de grandeur que le terme d'advection du champ magnétique. En explicitant le nombre de Reynolds on obtient : \frac{uB/L}{\eta B/ L^2}=\frac{uL}{\eta}. u est la vitesse caracteristique du plasma , L la longueur caracteristique de la region de dissipation et \eta la resistivité électrique du milieu. Si L devient très petit, le terme d'advection diminue et devient comparable au terme dissipatif. Dans la couronne solaire, le mécanisme de reconnexion magnétique se developpera aux petites échelles (L petit).

Pour que le changement de connectivité opère dans les régions de diffusion, il faut la présence d'un champ électrique parallèle au champ magnétique. C'est cette composante parallèle qui permet de briser le gel magnétique et de conduire au mouvement propre des lignes de champ magnétique. D'apres la loi d'Ohm non-généralisée, le terme \vec u \times \vec B exprime le champ életrique crée par les déplacements du plasma magnétisé à une vitesse u. On peut montrer que le champ électrique parallele ne provient que du rotationnel du champ magnétique. La création d'un champ électrique s'accompagne de la formation d'une nappe de courant (loi de Maxwell-Ampère : \vec \nabla \times \vec B = \mu_0 \vec j).

Les configurations magnétiques des régions actives sont généralement multi-polaires, ce qui permet d'avoir des zones particulières ou le champ magnétique s'inverse rapidement. Ces zones sont généralement associées à une discontinuité du champ magnétique qui constitue des sites préférentiels pour le développement de la reconnexion magnétique.

Reconnexion magnétique
schemareco.png
Les lignes de couleurs representent les lignes de champ magnetique. De la gauche vers la droite ce schema montre le changement de connection des lignes de champ qui se cassent et se reforment en se couplant l'une a lautre.
Crédit : Obs. de Paris

exerciceExercice

Question 1)

Bien que la reconnexion magnétique fasse appelle à des notions compliqués, on peut tout de même se faire une idée du principe en posant le problème le plus simplement possible. Soit un champ magnétique \vec B(x,y) distribué comme le montre le schéma (a ajouter)en coordonnées cartesienne. On suppose alors aucun mouvement de plasma, i.e., \vec \nabla \times(\vec u \times \vec B)=0. L'équation d'induction est alors réduite à \frac{\partial \vec B}{\partial t}= \eta \vec \nabla ^2 \vec B. Expliciter cette equation pour le champ magnetique donne ci-dessus :

Question 2)

A partir du schema ci-contre, trace l'evolution de bx et by en fonction de y. En utilisant ces profiles , evaluez le signe de leur dérivée seconde :

Question 3)

En deduire l'evolution au cours du temps des composante de bx et by. En conclure comment cela modifie les lignes de champ sur le schema.


Considération énergétique

Le second aspect de la reconnexion réside dans l'éjection brutale de matière s'expliquant par le modèle de Sweet Parker. Ce modèle permet de déterminer la vitesse que doit avoir le fluide plasma à l'entrée et à la sortie de la nappe de courant en fonction de la resistivité du mileu.

Par simplification, considérons une géométrie en 2 dimensions (cf Figure). Pour une nappe de courant de longeur L et d'épaisseur δ, situé sur l'axe d'inversion du champ magnétique, on applique la loi de conservation de la masse. Pour un fluide de densité ρin incident sur la section L de la nappe de courantà uen vitesse uin, on doit avoir : \rho_{in}u_{in}L = \rho_{out}u_{out}\delta.

Avec \rho_{out} et u_{out}, la densité et la vitesse de sortie du fluide par le coté δ de la nappe de courant.

En supposant le fluide incompressible, on a d'après l'équation de continuité \vec \nabla . \vec u=0 \rightarrow \frac{d\rho}{dt}= 0, soit ρin=ρout. On a alors \frac{u_{in}}{u_{out}} = \frac{\delta}{L}

Vitesse d'entrée du fluide : Le modèle de Sweet Parker fait l'hypothèse d'un problème stationnaire, i.e. \frac{\partial}{\partial t}=0. L'équation d'induction devient alors \vec \nabla \times (\vec u \times \vec b)=\eta \Delta \vec b . Le rapport du terme d'advection et du terme diffusif défini le nombre de Reynolds magnétique. Ce nombre défini le régime physique dans lequel se trouve le système. Pour que la reconnexion ait lieu il faut que le terme diffusif soit du même ordre de grandeur que le terme d'advection, i.e., Rm ~1. En estimant ce nombre de Reynolds à partir des grandeur caractéristique du système, i.e. les différentielles spatiales sont proportionnelles à l'inverse de la longueur caractéristique du système, on obtient :

\frac{\vec\nabla\times(\vec u\times \vec b)}{\eta \Delta \vec b}\simeq\frac{u_{in}\delta}{\eta} \simeq 1

La vitesse d'entrée du plasma est alors : uin~ η/δ pour respecter les lois de conservations. La vitesse d'entrée du fluide ne dépend alors que de la resistivité et de l'épaisseur de la nappe de courant. Notons que plus le rapport entre la longueur et l'épaisseur de la nappe de courant est proche de 1, plus la reconnexion sera rapide pour une vitesse de sortie fixée : la vitesse d'entrée sera de l'ordre de la vitesse de sortie

Vitesse de sortie du fluide : Lors de la reconnexion, on suppose que toute l'énergie magnétique (E_m=\frac{b^2}{2\mu} ) est transformée en énergie cinétique, on a : \frac{1}{2}\rho_{out}u_{out}^2 = \frac{b^2}{2\mu}. Donc u_{out} = \frac{b}{\sqrt{\mu \rho_{out}}}=c_A . La vitesse du fluide en sortie de la nappe de courant n'est autre que la vitesse d'Alfvèn. L'éjection de matière accompagnant la reconnexion magnétique est un mouvement Alfvénique. Au site de reconnexion dans la couronne, le champ magmétique est de l'ordre de 500 à 1000 G et la densité est de l'ordre de 108-9 g.cm-3 . La perméabilité magnétique dans la couronne approche celle du vide (\mu_0 =4\pi\times10^{-7} kg⋅m⋅A^{-2}⋅s^{-2}). On a donc une vitesse d'Alfvèn comprise entre 1000 et 5000 km.s-1. En comparaison avec les vitesses typique de la photosphère de l'ordre de quelques dizaines de km.s-1, le jet de matière en sortie de la nappe de courant est très rapide.

A partir des vitesses d'entrée et de sortie du fluide, on estime le nombre de Mack qui représente le taux de reconnection du système tel que : M = \frac{u_{in}}{u_{out}} = \frac{\eta}{c_A \delta}. Pour une vitesse d'Alfvèn et une resistivité η fixées, le taux de reconnection augmente lorsque l'épaisseur de la nappe de courant, δ, est petite. On retrouve le critère nécessaire des petites échellles pour le développement de la reconnection magnétique.

Modèle de Sweet-Parker
schema_sweetparker.png
Représentation schématique du modèle de Sweet-Parker. Le rectangle au centre montre la nappe de courant formée à l'interface de champ magnétique opposés.
Crédit : Obs. de Paris

La déroulement d'une éruption

Le déroulement d'une éruption

Une éruption solaire est causee par la libération d'énergie préalablement emmagasinée sous forme d'énergie magnétique dans les régions actives. Les éruptions solaires sont sans aucun doute le phénomènes les plus énergétiques de notre système solaire, de l'ordre de 10^{22}~ J, et ont un impact non négligeables sur les environnement planétaires.

Bien que d'énormes progrès aient été faits grâce aux moyens numériques, il reste encore des questions fondamentales pour comprendre toute la physique mis en jeu lors d'une éruption solaire. Cependant, il est possible de comprendre l'évolution d'un éruption de manière simplifiée et globale.

La première étape est de construire la structure meme de l'éruption, le filament ou protubérance ou tube de flux torsadé (cf Figure). Cela prend en général plusieurs jours. Au niveau de la ligne d'inversion des 2 polarité de la région active, les mouvements photosphériques combinés avec de nouveaux épisodes d'émergence de flux conduisent à la formation d'arcades cisaillées. Ces boucles cisaillées vont alors reconnectées les unes avec les autres pour former un filament (cf animation).

Au niveau de la photosphère, \beta >1 , i.e., les mouvements photospheriques du plasma déplacent les tubes de flux magnétiques émergés dans la couronne. En réponse à ces mouvements photosphériques, le filament s'élève tout d'abord lentement, puis est soudainement éjecté dans l'atmosphère solaire à des vitesses pouvant atteindre plusieurs milliers de km. s-1. C'est une éjection de masse coronale qui va par la suite se propager dans le milieu interplanétaire et le modifier.

Le principe de base pour expliquer le decollage impulsif d'une CME est la perte d'équilibre entre les forces appliquées sur le filament. Puisque le champ magnétique domine, on peut considérer que seule la force de Lorentz est active sur le tube de flux. C'est la force entre un courant et le champ magnétique, telle que : \vec F_L = \vec j \times \vec B. Cette force peut s'exprimer en fonction de 2 composantes. Sachant que \mu_0 \vec j = \vec \nabla \times \vec B (Equation d'Ampère), \vec F_L = \frac{1}{\mu_0}(\vec \nabla \times \vec B) \times \vec B. En utilisant les identité vectorielles, on peut décomposer la force de Lorentz telle que : \vec F_L = -\frac{\vec \nabla \vec B^2}{2 \mu_0} + (\vec B \cdot \vec \nabla)\vec B. Le premier terme correspond à la pression magnétique et le deuxieme à la tension magnétique.

Schéma pré-éruption
cartoon_eruption.001.png
Schéma post-éruption
cartoon_eruption.002.png

Au debut, le filament est maintenu dans la couronne grace à la tension magnétique des arcades magnétiques du champ ambiant qui est plus grande que la pression magnétique du tube de flux. Au fur et à mesure que le tube de flux s'élève dans la couronne, la tendance s'inverse, ce qui a pour conséquence l'envol du tube de flux qui n'est plus efficacement confiné par le champ B ambiant.

Une conséquence de la montée et de l'éjection du tube de flux est le développement d'une zone de reconnexion magnétique sous le tube de flux (cf Figure). Le changement de connectivité (lignes des champ se 'brisent' et se 'reforment' différemment) dans cette région conduit à la formation de 1) flux magnétique qui s'enroule autour du tube de flux torsadé déjà existant (i.e., augmentant la pression magnétique du tube de flux) et 2) des boucles post éruptive bas dans la couronne.

C'est également dans cette zone spécifique que l'énergie magnétique accumulée dans la région active est transférée sous forme d'énergie thermique et cinétique au plasma ambiant. Lors de l'éjection du tube de flux, une partie de l'énergie est également transférée à la CME sous forme d'énergie cinétique, ayant pour conséquence l'accélération globale de la structure jusqu'à quelques milliers de km.s-1


Observation des éjections des masses coronales

Les filaments, structure à l'origine de l'éjection de masse coronale, s'observent en absorption sur le disque solaire dans les raies Lyman alpha de l'hydrogène. Sur la figure, ce sont les rubans noirs à la surface du disque. Un filament est une structure magnétique qui de part sa géométrie se compose de région convexe, formant des hamacs magnétiques, au sein desquels le plasma coronal peut s'accumuler. Cette matière coronale, plus froide (environ 10 000 K) que son environnement absorbe le rayonnement de la surface solaire d'où sa couleur noire. Lorsque ces filaments sont observés au limbe solaire (cf figure), ce sont des protubérances solaires. La matière coronale bien que plus froide émet dans certaines longueurs d'onde de l'Ultra-Violet.

Les récentes observations de Solar Dynamics Observatory permet de voir ces filaments à très haute résolution spatiale et temporelle. Sur l'animation ci-contre, on voit clairement que le filament évoule dans un premier temps très lentement puis soudainement accélère et est éjectée.

Animation de CME

Une fois éjectée, on observe ce filament éjecté comme une éjection de masse coronale en lumière blanche à l'aide de coronographe (eclipse artificielle). Il est ensuite possible de suivre ces perturbations héliosphériques avec des imageurs dédiés embarqués sur sondes spatiales jusqu'à environ 330 rayons solaires (au dela de l'orbite terrestre). Grace aux mesures in-situ à la Terre du champ magnétique, on peut également obtenir des diagnostics sur l'arrivée de ces structures à la Terre.


Chauffage et accélération de particules

Chauffage et accélération de particules

Une partie de l'énergie dissipée lors de la reconnexion magnétique est convertie en énergie thermique. Le flux de chaleur ainsi généré au site de reconnexion se propage principalement le long des tubes de flux magnétique. Notamment, lors d'une éruption, le flux de chaleur précipite vers la surface solaire le long des boucles post-éruptives et impacte la couche chromopshérique, plus dense que la couronne. Cela entraîne alors un chauffage local du plasma chromosphérique.

Une seconde conséquence de la libération d'énergie est l'accélération de particules. Au site de reconnexion, plusieurs mécanismes peuvent accélérer les particules:

Finalement, lors de leurs éjections, les CMEs peuvent atteindre des vitesses super-Alfvéniques (i.e., plus rapide que la vitesse d'Alfven qui est la vitesse charactéristique de propagation de l'information pour un plasma magnétisé). Dans cette situation, il y a formation d'un choc en amont de l'éjection de masse coronale. Les particules peuvent alors être accélérées au niveau du choc par un processus d'accélération de Fermi.

exerciceAccélération de particules lors de la reconnexion magnétique

Déterminer l'accélération des particuls soumises à un champ électrique E.

Question 1)