Vies et intelligences?

Auteur: Yaël Nazé

Search for Extraterrestrial Intelligence (SETI)

Avec la découverte du rayonnement radio et le développement des télécommunications qui s’ensuivit, la recherche de vie extraterrestre prit un autre tournant : et si on « écoutait » le ciel, à la recherche non de la simple vie, mais bien d’autres civilisations ?

L’idée est loin d’être neuve. Au tournant du siècle passé, Nikola Tesla (1856-1943), inventeur génial, pense utiliser l’induction pour amener l’énergie dans les maisons. Pour vérifier la faisabilité de son concept, il tente plusieurs expériences. Notamment, il construit un gigantesque transmetteur (une tour de 50 m de haut entourée de fil électrique). Une nuit de 1899, il enregistre des perturbations – son transmetteur était aussi un récepteur ! Il les prend pour une communication interplanétaire et il affirme en 1901 être le premier à établir une communication entre deux mondes différents – la réalité est plus prosaïque : selon toute vraisemblance, il s’agissait de l’émission radio d’éclairs lointains. Dans le même ordre d’idées, Guigliemo Marconi (1874-1937), responsable de la première émission transatlantique, imagine dès 1919 des communications basées sur le langage mathématique pour entrer en contact avec d’autres intelligences – il affirme même avoir reçu un signal inexpliqué et lointain en 1920 (il est le seul à l’avoir enregistré, ce qui suggère un problème quelconque). Avec ses collègues, il encourage les gens à écouter nos voisins martiens avec leur récepteur TSF lors de l’opposition Terre-Mars de 1924. On arrive même à mobiliser l’armée, qui diminuera ses émissions radio pour faciliter la détection de signaux martiens – un signal étrange est rapporté, sans confirmation extérieure. Hélas, tous ignoraient qu’à ces basses fréquences, les ondes radio sont arrêtées par l’ionosphère: aucune émission extraterrestre ne pouvait leur parvenir.

Dans un article pionnier paru en 1959, Giuseppe Cocconi (1914-) et Philip Morrisson (1915-2005) montrent que les communications interstellaires sont possibles. Les radiotélescopes ont alors atteint une sensibilité suffisante pour ce faire. Ils proposent de se focaliser sur des signaux à bande étroite et centrés sur 1420MHz, fréquence d’une raie d’hydrogène, élément le plus abondant dans l’Univers8 : en envoyant un message à cette fréquence, on est en effet certain qu’au moins un groupe de personnes écoute... les astronomes ! Ils reconnaissent toutefois que « La probabilité de succès est difficile à estimer, mais si l’on ne cherche jamais, les chances de réussir sont nulles. ». Aujourd’hui, on se focalise sur le point d’eau (water hole), une bande située entre les longueurs d’onde de 21,1 cm (H) et 17,6 cm (OH), car les deux composés associés forment l’eau, base de la vie...8 Aujourd’hui, on se focalise sur le point d’eau (water hole), une bande située entre les longueurs d’onde de 21,1 cm (H) et 17,6 cm (OH), car les deux composés associés forment l’eau, base de la vie...

Au même moment, un certain Frank Drake (1930-) entre en jeu. Il avait été frappé par un cours sur les exoplanètes donné par Struve et par la réception d’un signal (en fait, un parasite terrestre) alors qu’il observait les Pléiades: les signaux extraterrestres deviennent une passion chez lui. Indépendamment de Morrisson et Cocconi, il arrive à la même conclusion sur le choix de la fréquence et décide de tenter l’expérience en positionnant l’antenne de 26m de Green Bank vers deux étoiles proches (12 années-lumière) et de type solaire : τ Ceti et ε Eridani. Ce projet, baptisé Ozma, utilise l’antenne 6 heures par jour d’avril à juillet 1960, au total 200h d’observation, sans succès. Il en faut plus pour décourager Drake et ses collègues, qui fondent SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence) et obtiennent des fonds de la NASA en 1992 – un an plus tard, le budget est annulé et ils doivent recourir au mécénat privé. Depuis, il y a eu le projet Phoenix (durant neuf ans, jusque mars 2004, il utilisa le radiotélescope d’Arecibo pendant 5% du temps disponible) ainsi que les projets SERENDIP et southern SERENDIP (utilisant la technique du piggyback - soit utiliser un instrument "collé" à un autre pour travailler en parallèle des projets « normaux » , cela permet d'obtenir un accès au ciel, mais sans pouvoir choisir la zone observée ni la durée d'observation).

Ces projets ont généré des milliards de données : comme les exobiologistes ne possédaient pas la puissance informatique pour les analyser, ils ont lancé en mai 1999 SETI@home, un économiseur d’écran utilisé par au moins 3 millions de personnes dans le monde. Cette idée a aujourd’hui été reprise par d’autres grands projets scientifiques.

En se focalisant sur le domaine radio, on avait oublié que d’autres communications sont possibles. Dans le domaine visible, il existe un signal typiquement artificiel : des impulsions laser. Depuis quelques années, certains scrutent le ciel à la recherche de ce type de signal. D’autres proposent de rechercher les émissions infrarouges associées à des sphères de Dyson (une sphère entourant une étoile-mère, permettant d’utiliser toute son énergie).

Jusqu’ici, aucun résultat probant n’a été obtenu. Dans les années 1960, deux sources radio variant avec une période de cent jours parurent suspectes... mais elles correspondaient en fait à un nouveau type de sources, les quasars. Peu après, des impulsions radio très régulières firent aussi penser à un signal LGM (Little Green Man) : hélas, il ne s’agissait « que » de la découverte des pulsars...

En 1977, un signal baptisé « Wow » avait bien focalisé l’attention, mais il ne s’est jamais reproduit: on pense aujourd’hui qu’il s’agissait probablement d’une interférence terrestre.

En y réfléchissant, les hypothétiques réceptions peuvent se séparer en trois grands types : on pourrait surprendre un signal local (ex : notre TV, les études radar d’objets du Système solaire, etc), un signal échangé entre deux civilisations ou entre une civilisation et sa colonie ou une de ses sondes spatiales (civilisations qui ignorent tout de nous), ou encore un signal délibérément envoyé pour se signaler aux autres mondes. Le seul problème, c’est la distance : plus la distance est grande, plus le signal est faible (loi en 1/d2 !) : avec notre technologie, nous pourrions capter un signal TV émis à une distance maximale d’une année- lumière ou un signal militaire puissant et à bande étroite dans les dix années-lumière environnantes (à cette distance, il y a déjà quelques étoiles) ; la situation est similaire pour les signaux de la deuxième catégorie (en imaginant que les extraterrestres soient capables d’émettre autant que nous).


Envoi de messages

Signal envoyé vers M13
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Figure 1 : Signal envoyé vers M13
Crédit : Arecibo
plaque envoyée sur les sondes Pioneer
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Figure 2 : Plaque gravée envoyée sur les condes Pioneer
Crédit : NASA
Disque envoyé sur les sondes Voyager
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Figure 3 : Disque gravé envoyé sur les sondes Voyager
Crédit : NASA

Écouter, c’est bien, mais cela suppose que quelqu’un émet. Le faisons-nous ? Pas vraiment... Nous émettons continuellement des signaux des deux premières catégories ci- dessus, mais les signaux délibérés ne sont pas encore monnaie courante. Au 19e siècle, Karl Gauss (1777-1855) aurait pourtant déjà proposé d’utiliser une centaine de miroirs d’un mètre de diamètre pour envoyer un signal lumineux dans l’espace. À la même époque, de nombreuses propositions ont été émises pour se signaler à nos collègues sélènes, vénusiens ou martiens: il suffirait de construire (à l’aide d’arbres, par exemple) des structures géométriques remarquables, par exemple un triangle rectangle flanqué de trois carrés signalerait notre connaissance du théorème de Pythagore.

En 1974, un signal radio a quand même été envoyé depuis Arecibo vers l’amas globulaire M13, situé à 21 000 années-lumière (figure 1) . Il s’agit d’un message de 1679 bits (0 et 1 étant classiquement représentés par deux fréquences différentes), soit 73 lignes et 23 colonnes (73 et 23 sont deux nombres premiers, une caractéristique mathématique que les intelligences extraterrestres apprécieront...). Répété durant trois minutes, il explique notamment d’où le message est venu – un coucou interstellaire qui parviendra dans 21000 ans à leurs destinataires. Précisons que l’envoi de ce message ne fit pas l’unanimité : l’astronome royal britannique, Martin Ryle (1918-1984), tenta d’en empêcher la diffusion par peur de «conséquences hostiles»... Son intervention relança le débat sur la gentillesse ou la méchanceté possibles des civilisations extraterrestres, mais les adhérents à la cause SETI tablent clairement sur la sagesse d’une civilisation avancée, qui a pu survivre aux développements technologiques.

Toujours au niveau pratique, certaines sondes spatiales ont été munies de messages. Les sondes Pioneer (1972/1973) recèlent une plaque gravée (figure 2) : elles ont mis 21 mois pour rejoindre Jupiter, et si elles étaient lancées vers l’étoile la plus proche, elles l’atteindraient en 115 000 ans – Pioneer 10 s’approchera en fait d’Aldébaran dans deux millions d’années... Les messages des sondes Voyager (1977) sont plus élaborés (figure 3): ces vaisseaux renferment un disque comportant des images et des sons (des vœux multilingues, de la musique, des bruits naturels, etc.). Actuellement, ces sondes se trouvent à 15 milliards de kilomètres du Soleil ; leurs signaux, lancés par un émetteur de seulement 320W, mettent 16h à nous parvenir. Une chose est sûre : s’ils arrivent à déchiffrer ces messages, les extraterrestres sont effectivement intelligents !


Equation de Drake

En 1961, l’astronome Frank Drake propose à dix collègues de participer à la première conférence SETI. Au moment de fixer l’agenda, il élabore une équation devenue célèbre : N=T_e*p_pl*n_e*p_v*p_i*p_c*L Les différents termes sont :

Le résultat est que N vaut alors 12 à 50 (Drake était plus optimiste, et simplifiait son équation en N=L). Les plus pessimistes proposent plutôt N=1 (le seul exemple, c’est nous). Parfois surnommée la paramétrisation de l’ignorance, l’équation de Drake possède néanmoins un avantage réel : poser correctement le problème, même si l’on est actuellement incapable de le résoudre, et le découper en ses constituantes, plus « faciles » à envisager.

Calcul de l'équation de Drake


Paradoxe de Fermi

Enrico Fermi (1901-1954) résuma la situation en 1950, durant un dîner à Los Alamos: «L’Univers contient des milliards d’étoiles. Beaucoup de ces étoiles ont des planètes, où se trouvent de l’eau liquide et une atmosphère. Des composés organiques y sont synthétisés ; ils s’assemblent pour former des systèmes autoreproducteurs. L’être vivant le plus simple évolue par sélection naturelle, se complexifie jusqu’à donner des créatures pensantes. La civilisation, la science et la technologie suivent. Ces individus voyagent vers d’autres planètes et d’autres étoiles, et finissent par coloniser toute la Galaxie. Des gens aussi merveilleusement évolués sont évidemment attirés par un endroit aussi beau que la Terre. Alors, si cela s’est bien produit ainsi, ils ont dû débarquer sur Terre. Where is everybody ? »

S’il existe une civilisation galactique, elle devrait avoir colonisé toute la galaxie, soit via des robots, soit personnellement. Comme on ne voit rien, c’est qu’il n’y a personne... Nous sommes donc seuls. C’est l’hypothèse de la Terre rare. En effet, nous serions issus d’une successions de hasards : sans un Jupiter pour dévier les mortels astéroïdes, sans un satellite gros comme la Lune pour stabiliser l’axe de rotation (or on sait aujourd’hui que cette Lune provient d’un gros impact), sans un impact important qui a éliminé les dinosaures et permis aux mammifères, donc finalement nous, de proliférer (or les impacts se font au hasard), nous ne serions pas là... Ces considérations rejoignent celles de certains biologistes, évoquées plus haut.

Le paradoxe de Fermi, comme on le surnomme, peut toutefois se résoudre de deux autres manières. Tout d’abord, il existe peut-être d’autres civilisations, mais elles n’ont pas colonisé la Galaxie : le voyage interstellaire est peut-être difficile voire impossible (pour des raisons techniques ou sociologiques – on a mieux à faire, c’est trop cher ou trop dangereux) ; le caractère d’explorateur des humains est peut-être une exception dans l’Univers ; ou une civilisation avancée ne peut éviter l’auto-destruction. Il est également possible, tout simplement, que ces civilisations n’ont pas eu le temps de s’étendre car certains estiment à une dizaine de milliards d’années le temps nécessaire pour coloniser l’ensemble de la Galaxie – les ETs ne sont pas là, mais ils sont en chemin. Cependant, on peut également imaginer qu’il existe une civilisation galactique colonisatrice, mais que nous ne nous en rendons pas compte : nous avons peut-être peu d’intérêt pour eux (s’intéresse-t-on à une fourmi ?) ; ou nous sommes peut-être surveillés sans interférence (hypothèse du « zoo » galactique).


Imagination populaire

OVNIS
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Figure 1 : Les OVNIs sont souvent associés aux « soucoupes volantes ». Ce terme provient d’une interview avec l’homme d’affaires Kenneth Arnold qui en 1947 rapporta avoir vu neuf objets alors qu’il pilotait son avion privé. Il les décrivit comme des « disques volant comme une soucoupe si vous la lancez de l’autre côté de l’eau » – le terme de soucoupe s’appliquait donc à décrire le mouvement des objets, et non leur forme, mais le journal titra le lendemain en première page « flying saucers ».. l’ère des soucoupes volantes venait de commencer.
Crédit : K.A.

Cela fait plus d’un siècle que les extraterrestres ont fait leur apparition dans la prose et la poésie : en fait, depuis Fontenelle, les idées extraterrestres percolent toutes les couches de la société et y implantent l’idée d’une vie ailleurs. Ainsi, la science-fiction, outre ses aspects divertissants, joue également un rôle plus fondamental : elle permet au public de s’habituer à l’idée extraterrestre – certains assurent même que la découverte de vie ailleurs, sur Mars par exemple, ou la réception d’un signal étranger auraient certes un grand retentissement le jour même, mais seraient vite oubliées dans la société hyper-médiatisée actuelle. Du point de vue sociologique, espoirs et craintes entourent l’idée extraterrestre : conduira-t-elle à une plus grande unité (front commun contre les aliens ou pour la préservation de la Terre si nous sommes uniques) ou à une destruction de la société si la civilisation de l’autre est très avancée (scientifiques dépassés, lien de dépendance) ? La question est en tout cas posée, et les maîtres de SETI ont jugé nécessaire de publier un protocole détaillé sur la manière d’agir en cas de réception avérée de signal extraterrestre.

Bien sûr, d’aucuns assurent que le contact s’est déjà produit. Des « preuves » de leur ancien passage peuvent être trouvées dans les lignes de Nazca au Pérou (des pistes d’atterrissage pour extraterrestres), les représentations d’astronautes extraterrestres trouvés dans les peintures de Bosch ou les gravures des tombes de Palenque (Mexique), le déplacement des moai de l’Île de Pâques entre leur carrière (où ils auraient été découpés au laser) et leur emplacement actuel, la vision d’objets cylindriques dans le ciel de Nuremberg le 14 avril 1561, le grand complexe astronomique de Stonehenge, etc. Toutes ces considérations assez folkloriques ont pu être écartées sans grand problème.

Depuis la seconde guerre mondiale, les extraterrestres reviennent en force, et pas seulement au cinéma ou en littérature : cette fois, il s’agit d’OVNIs. En pleine guerre froide, les Américains ont craint qu’il ne s’agisse d’engins soviétiques... Ils ont mis sur pied plusieurs commissions de manière à évaluer la menace pour la sécurité nationale (projet Sign fin 1948, projet Grudge en 1949, projet Blue Book en 1956, rapport Condon fin des années 1960). Leurs conclusions sont rassurantes : il n’existe aucune preuve qu’il s’agisse d’un ennemi (sous-entendu à l’époque, l’URSS), d’une manifestation interplanétaire ou d’un danger quelconque pour le pays ; d’ailleurs, 90% des OVNIs s’expliquent de manière tout à fait naturelle. Après tout, on ne compte plus les phénomènes célestes : débris spatiaux qui se désintègrent dans l’atmosphère, foudre en boule, vols d’oiseaux, voire tests d’engins « secrets » – même le lever de Vénus ou de la Lune effraie parfois les Terriens ayant perdu le contact avec le ciel ! Il faut toutefois avouer que l’évaluation des grandeurs de phénomènes célestes n’est pas évidente : bien peu d’entre nous ont conscience que la Lune a la même taille au zénith et à l’horizon. Les erreurs sont donc fréquentes tant sur la taille et la distance que le mouvement d’un objet et sa direction : la plupart des témoignages ne sont donc pas fiables – même s’ils proviennent d’un pandore assermenté. De plus, nombre de citoyens modernes ont perdu le contact avec la nature, et ne connaissent plus les phénomènes célestes, même les plus courants.

Ceci dit, 90% n’est pas 100% : il reste une partie de phénomènes inexpliqués... par la science actuelle : est-elle la meilleure possible ? On peut raisonnablement en douter (dans le cas contraire, il faudrait arrêter de financer la recherche !). Il reste donc encore à prouver que ces cas inexpliqués sont l’œuvre d’extraterrestres : par analogie, si la police de New York réussit à résoudre 90% des crimes de la ville (ce sont des humains ayant attaqué d’autres humains), cela ne veut pas dire que les 10% restants sont forcément commis par des aliens désœuvrés...