Datation Radio-Isotopique


Datation radio-isotopique: Principe

Certains noyaux atomiques, appelés radioisotopes, sont naturellement instables et peuvent spontanément se désintégrer en noyaux moins massifs et stables, libérant de l’énergie sous forme de rayonnement. La décroissance du nombre N d’un type de radioisotopes {}^{p}A en un élément {}^{q}B suit une décroissance exponentielle d*N/dt prop-lambda*N . Où la quantité t_{1/2} = ln(2)/\lambda est le temps de demi-vie caractéristique de l’élément. Dans le cas le plus simple où aucun élément B n’est présent initialement le temps t peut être trouvé directement par le rapport B/A. Mais en réalité les choses ne sont jamais aussi simples, et ce pour au moins 2 raisons :

1) Il y a a priori toujours du {}^{q}B présent à t=0 ou, du moins, il est impossible d’exclure cette présence. Et on ne connait pas a priori cette quantité initiale de {}^{q}B

2) l’isotope {}^{q}B n’est souvent pas le seul possible pour l’élément B, qui peut également exister sous la forme {}^{q'}B, ce qui peut fortement compliquer les choses. En effet, dans un matériau à l'état gazeux ou liquide, les isotopes {}^{q}B et {}^{q'}B vont naturellement s'équilibrer entre eux à une valeur d'équilibre. En conséquence, dès qu'un matériau fond ou fusionne, toute information sur la quantité d'isotope {}^{q}B produite par désintégration de {}^{p}A va être perdue par cette mise à l'équilibre isotopique (autrement dit, toute fusion est un "reset" des isotopes de B).

Ceci va rendre la datation plus compliquée, mais elle reste néanmoins possible, du moins pour remonter jusqu'au moment de la dernière condensation du matériau. On peut grosso-modo distinguer 2 types de datation : datation absolue et datation relative.


Datation absolue

La désintégration de {}^{238}U en {}^{206}Pb a un temps de ½ vie de 4.47 109 ans, idéal pour mesurer l’âge des plus anciens corps du système solaire. Mais {}^{206}Pb n’est pas l’isotope naturel du Pb, qui est {}^{204}Pb. On obtient alors la relation suivante, liant les abondances de {}^{238}U, {}^{206}Pb et {}^{204}Pb:

\left (\frac{{}^{206}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_P = \left (\frac{{}^{206}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_I + \left (\frac{{}^{238}U}{{}^{204}Pb} \right )_I  \left ( 1- e^{-\lambda_{238}t}  \right )

= \left (\frac{{}^{206}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_I + \left (\frac{{}^{238}U}{{}^{204}Pb} \right )_{P}  \left ( e^{\lambda_{238}t} -1  \right )

où les indices P et I se réfèrent aux abondances actuelles et initiales, respectivement. Le moment "initial" correspond à l'instant où l'objet en question s'est solidifié pour la dernière fois. En effet, dès que le corps fond ou se sublime en gaz, les proportions des 2 isotopes {}^{206}Pb et {}^{204}Pb s'équilibrent rapidement à leur proportion "naturelle" et toute information sur la désintégration de {}^{238}U est perdue (voir page précédente ). A cet instant initial le rapport {}^{206}Pb/{}^{204}Pb est donc égal à la valeur d'équilibre. En revanche, une fois le corps solidifié, un excès de l'isotope {}^{206}P va petit à petit se créer à mesure que {}^{238}U se désintègre. La variable inconnue est ici la quantité initiale absolue de {}^{206}Pb (ou de {}^{204}Pb), que l'on ne connaît pas a priori. Heureusement, il existe un deuxième type de désintégration d’U en Pb, la réaction {}^{235}U \Rightarrow {}^{207}Pb , dont le temps de vie est de 704 106 ans, et qui va nous permettre de contraindre les abondances initiales. Les équations sont alors:

\left (\frac{{}^{207}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_P = \left (\frac{{}^{207}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_I + \left (\frac{{}^{235}U}{{}^{204}Pb} \right )_P  \left (e^{\lambda_{235}t} -1 \right )

\left (\frac{{}^{206}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_P = \left (\frac{{}^{206}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_I + \left (\frac{{}^{238}U}{{}^{204}Pb} \right )_P  \left (e^{\lambda_{238}t} -1 \right )

Et donc: F = \left [\frac{\left (\frac{{}^{207}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_P -\left (\frac{{}^{207}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_I }{ \left (\frac{{}^{206}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_P - \left (\frac{{}^{206}Pb}{{}^{204}Pb} \right )_I} \right ]=\left ( \frac{1}{137.88} \right )\left ( \frac{e^{\lambda {}_{235}t} -1}{e^{\lambda {}_{238}t} -1} \right )

où 137.88 est la valeur présente de \frac{{}^{238}U}{{}^{235}U}, qui est une constante globale du système solaire actuel, et \lambda_{235}= \ln(2) / \tau_{235}, \lambda_{238}= \ln(2) / \tau_{238}. Cette relation est directement exploitable pour toute météorite non-homogène initialement, mais dont tous les composants se sont formés à la même époque. En effet, dans ce cas, les rapports initiaux {}^{206}Pb/{}^{204}Pb et ^{207}Pb/{}^{204}Pb sont les mêmes partout dans la météorite et sont égaux à leurs valeurs d'équilibre (indiquées par a0 et b0 sur la figure). Par conséquent, dans un graphe {}^{206}Pb/{}^{204}Pb vs. ^{207}Pb/{}^{204}Pb , toutes les mesures du rapport F doivent se situer une même droite, appelée isochrone, dont la pente va directement donner l’âge de la météorite (cf. Figure).

images/Approfondissement-1-Pb-Pb.png
Isochrone isotopique construite à partir des abondances actuelles relatives de 207Pb, 206Pb et 204Pb en différents endroits d’une même météorite
Crédit : Observatoire de Paris

Datation relative

La désintégration radioactive permet également de dater des corps même bien après la disparition des radionucléotides concernés (c'est à dire bien au delà du temps de 1/2-vie de la désintégration concernée). C’est le cas par exemple de la désintégration {}^{26}Al \Rightarrow{}^{26}Mg, dont le temps de ½ vie est de « seulement » 720 000ans. Notons que ni {}^{26}Al, ni {}^{24}Mg ne sont des isotopes naturels de leurs éléments, qui sont, respectivement, {}^{27}Al et {}^{24}Mg. A la différence de la désintégration d’{}^{238}U, il n’existe aujourd’hui plus de {}^{26}Al que l’on puisse mesurer. En principe, on a donc :

({}^{26}Mg)_P=({}^{26}Mg)_I+({}^{26}Al)_I

Cette équation n’est pas d’une grande aide en elle-même, mais, comme pour la datation absolue, on peut tirer parti de la non-homogénéité d’une météorite donnée. Si en effet deux endroits de cette météorite avaient initialement des teneurs totales en Al (tous isotopes confondus) différentes, mais que la proportion de \frac{{}^{26}Al}{{}^{27}Al} était, elle, la même, alors l’excès de {}^{26}Mg ne sera aujourd’hui pas partout le même, et cet excès sera relié à l’abondance actuelle locale de \frac{{}^{27}Al}{{}^{24}Mg} par la relation :

\left ( \frac{{}^{26}Mg}{{}^{24}Mg} \right)_P = \left ( \frac{{}^{26}Mg}{{}^{24}Mg} \right)_I + \left ( \frac{{}^{26}Al}{{}^{27}Al} \right)_I + \left ( \frac{{}^{27}Al}{{}^{24}Mg} \right)_P

Les mesures de \frac{{}^{26}Mg}{{}^{24}Mg} et \frac{{}^{27}Al}{{}^{24}Mg} en différents endroits de la météorite vont alors tracer une isochrone dont la pente donnera la teneur initiale en \frac{{}^{26}Al}{{}^{27}Al} (voir Figure).

Maintenant, si on compare les teneurs initiales de \frac{{}^{26}Al}{{}^{27}Al} obtenus pour différentes météorites, on peut obtenir une datation relative des temps de formation de ces météorites. En effet, étant donné le temps de vie très court de {}^{26}Al, sa teneur par rapport à {}^{27}Al pourra être très différente suivant l’instant où la météorite s’est formée. Si on compare les valeurs \left (\frac{{}^{26}Al}{{}^{27}Al} \right )_Idans 2 météorites différentes, on obtient ainsi la datation relative de leur formation par la formule:

\left (\frac{{}^{26}Al}{{}^{27}Al} \right)_I^1 = \left (\frac{{}^{26}Al}{{}^{27}Al} \right)_I^2 e^{-\lambda(t_1- t_2)}

t_1 et t_2 sont les instants de formation des 2 météorites, et \lambda est le taux de désintégration de la réaction {}^{26}Al \Rightarrow {}^{26}Mg

Il faut cependant ici bien faire attention à deux points très importants :

  1. ces mesures relatives ne sont possibles que si {}^{26}Al était uniformément distribué dans la nébuleuse initiale. Les dernières recherches semblent cependant montrer que tel était bien le cas. 
  2. la fraction de \left (\frac{{}^{26}Al}{{}^{27}Al} \right )_{0} estimée correspond à ce qu’elle était au moment de la dernière condensation de l’objet. En effet, quand le corps est dans un état fluide (gaz, liquide), les abondances de {}^{26}Mg et {}^{24}Mg se ré-équilibrent automatiquement à leurs proportions « naturelles » et tout excès antérieur de {}^{26}Mg est effacé. Autrement dit, le chronomètre isotopique se « reset » lors de tout épisode de très forte température.
images/Approfondissement-1-Al-Mg-Alliende.png
Isochrone obtenue à partir des abondances actuelles des différents isotopes de Mg et Al dans la météorite carbonée « Alliende »
Crédit : Observatoire de Paris