La limite intérieure de la Zone Habitable

Auteur: M. Turbet

L'emballement de l'effet de serre

La limite intérieure de la Zone Habitable ou limite chaude de l'Habitabilité correspond à la distance orbitale à partir de laquelle toute l'eau liquide à la surface d'une planète est vaporisée. Quand le flux lumineux reçu par une planète augmente, l'évaporation de ses océans augmente aussi. La vapeur d'eau ainsi formée étant un puissant gaz à effet de serre, la température à la surface de la planète va s'élever, entrainant une augmentation de l'évaporation, et ainsi de suite ...

Une question de flux

Prenez la Terre et rapprochez là progressivement du Soleil. Au fur et à mesure, sa température de surface et la quantité de vapeur d'eau dans son atmosphère vont augmenter. Ainsi, l'émission thermique de la Terre vers l'espace va augmenter. Jusque là, la Terre reste en état d'équilibre et à une valeur de flux solaire reçu va correspondre une température d'équilibre.

Mais à partir d'un certain flux solaire (i.e., une certaine distance à l'étoile centrale), la surface de la Terre entre dans un état hors-équilibre. La quantité de vapeur d'eau est telle que l’atmosphère devient totalement opaque dans le domaine de l'infrarouge. Le rayonnement infrarouge ne peut plus s’échapper vers l’espace et par conséquent la surface de la Terre n'est plus capable de se refroidir. Elle va donc se réchauffer continument jusqu'à ce que celle ci soit de nouveau capable de se refroidir par émission thermique dans le proche infrarouge - visible. C'est ce qui arrive une fois que la surface atteint une température de ~ 1800 Kelvins. A cette température, la Terre est si chaude qu'elle émet dans le proche infrarouge - visible, gamme de longueur d'onde qui correspond à une "fenêtre" dans le spectre d'absorption de la vapeur d'eau. 

Modélisation du Runaway Greenhouse : 1D vs 3D

L'estimation la plus récente de la limite intérieure de la Zone Habitable, et via la mécanisme de Runaway Greenhouse, est de 0.95 A.U. et a été établie à partir de Modèles 3D (GCM).

Alors que les modèles 1D faisaient l'hypothèse que l'atmosphère de la Terre, en se rapprochant du Soleil, serait très vite saturée en vapeur d'eau ... les modèles 3D ont mis en évidence la présence de région non-saturées en eau au niveau des tropiques, augmentant ainsi l'émission thermique de ces régions, et repoussant la limite chaude de l'Habitabilité vers l'intérieur.

Flux solaire et thermique
flux_kopparapu.png
En haut, on représente l'évolution de la température de surface de la Terre en fonction du flux solaire reçu (relatif à aujourd'hui). Le flux solaire relatif actuel est donc de 1. En bas, on montre l'évolution du flux thermique en fonction de la température de surface. La zone grisée représente l'effet d'emballement de l'effet de serre. NB : Ces courbes ont été calculées à partir de modèles 1D utilisant une paramétrisation simplifiée de la planète Terre.
Crédit : Adapté d'un article de Kopparapu et al., The Astrophysical Journal 765 (2013).
Spectre d'absorption de l'eau VS Spectres d'émissions thermiques
spectrum_h2O.png
En noir, on représente le spectre d'absorption de la vapeur d'eau. En rouge, on représente les spectres d'émission thermique (luminance spectrale) de deux corps noirs de températures 288K et 1800K. La fenêtre atmosphérique (en dessous de 1 micron) permet à une planète entrée dans l'état de "Runaway Greenhouse" de retrouver un nouvel état d'équilibre, cette fois-ci ... chaud (> 1800 Kelvins) !
Crédit : M. Turbet
Auteur: M. Turbet

exerciceDevenir de la Terre

Difficulté : ☆☆☆   Temps : 1 heure

Question 1)

Si la Terre entre en Runaway Greenhouse, quelle est la pression atmosphérique maximale qu'elle peut atteindre ?

Question 2)

Dans le cas de la Terre, quel est la différence d'énergie (en Joules et en ordre de grandeur) entre les deux états d'équilibre correspondant à 1) l'entrée en Runaway Greenhouse et à 2) la sortie du Runaway Greenhouse ? On fera d'abord l'hypothèse que les échanges entre l'atmosphère/les océans et le sous-sol sont nuls.

Question 3)

Inévitablement, la luminosité du Soleil augmente avec le temps. Les modèles standards d'évolution stellaire indiquent que la luminosité L_{\odot} du Soleil évolue comme suit : L_{\odot}(t)~=~\frac{1}{[1+\frac{2}{5}(1-\frac{t}{t_{0}})]}~L_0, avec t l'âge relatif du Soleil par rapport à aujourd'hui, t_0 l'âge du Soleil (4.6 milliards d'années) et L_0 la luminosité actuelle du Soleil. Estimez 1) le temps nécessaire pour initier le mécanisme de Runaway Greenhouse sur Terre à partir d'aujourd'hui, et 2) le temps nécessaire pour atteindre le premier état d'équilibre en sortie du Runaway Greenhouse. On fera l'hypothèse que l'albédo planétaire de la Terre vaut (dans ces conditions) 0.2.

Question 4)

Recalculez maintenant l'énergie (E=E_2-E_1) nécessaire pour passer d'un état d'équilibre du Runaway Greenhouse à l'autre en prenant en compte cette fois-ci le chauffage du sous-sol. Calculez alors le nouveau temps nécessaire pour sortir du Runaway Greenhouse. On pourra utiliser le profil de température fourni ci-joint.

Profil de température de la surface au centre de la Terre
temp_earth_profile.jpg
Crédit : Boehler, R. (1996)


Le Moist Greenhouse, échappement atmosphérique

Prenez à nouveau la Terre et rapprochez là progressivement du Soleil. À 1 Unité Astronomique, c'est la Terre actuelle. À 0.95 Unité Astronomique, le climat de la Terre s'emballe vers un état de "Runaway Greenhouse". Mais avant d'atteindre cet état, la Terre passe progressivement d'états d'équilibre en états d'équilibre de plus en plus chauds et humides. Les hautes couches de l'atmosphère sont alors elles aussi de plus en plus chaudes et humides. Le flux extrême UV en provenance du Soleil peut alors atteindre les molécules d'eau et les casser en atomes d'oxygène et hydrogène. Ces derniers sont légers et peuvent facilement être éjectés dans l'espace.

Par ce mécanisme, la Terre pourrait progressivement perdre tout l'hydrogène de son atmosphère et donc la totalité de son réservoir d'eau.

La vitesse d'échappement atmosphérique

Pour savoir à quelle vitesse la Terre perdrait l'hydrogène de son atmosphère, il est important d'identifier le processus limitant de l'échappement atmosphérique ... 1. L'eau s'évapore des océans dans la couche la plus basse de l'atmosphère. Cette eau est très rapidement mélangée dans les couches basses de l'atmosphère. 2. Les molécules d'eau sont transportées plus lentement vers les hautes couches de l'atmosphère. 3. Dans les hautes couches de l'atmosphère (jusqu'à l'exosphère), les molécules d'eau sont photodissociées pour donner de l'hydrogène qui, léger, va rapidement s'échapper vers l'espace.

En fonction de la quantité d'eau injectée dans la stratosphère, le processus limitant va être ou bien la diffusion ou bien la photodissociation (dans ce cas, la quantité limitante est le flux incident d'UV utilisé pour la photodissociation).

Moist Greenhouse / Runaway Greenhouse

Il est pour l'instant difficile de savoir si la Terre deviendra un jour (à mesure que la luminosité solaire augmente) inhabitable via le mécanisme d'emballement de l'effet de serre ou bien via la perte de son eau dans l'espace. Le taux d'échappement de l'hydrogène est principalement fonction de la quantité d'eau présente dans les hautes couches (stratosphère) de l'atmosphère ; pourtant, les différents modèles de climat (1D et 3D) à la pointe de la recherche dans ce domaine montrent des écarts considérables dans leurs estimations du contenu en vapeur d'eau dans la haute atmosphère terrestre ...

La série d'exercices ci-dessous propose justement de comparer les résultats de deux modèles de climats différents (non représentatifs).

Profils verticaux de vapeur d'eau
vaporprofile.png
Profils verticaux de vapeur d'eau calculés à partir de deux modèles de climat différents [ 1D (bleu) et 3D moyenné (rouge) ] de la Terre pour différentes valeurs de distance orbitale Terre-Soleil.
Crédit : Adapté de R. Kopparapu (1D) et J. Leconte (3D).
Taux d'échappement de l'hydrogène
escape_rate.png
Taux d'échappement de l'hydrogène calculés 1. pour le processus de diffusion et 2. à partir du flux limitant d'UV. La courbe rouge correspond au tracé du taux d'échappement limitant pour chaque quantité d'H2O.
Crédit : M. Turbet
Auteur: M. Turbet

exerciceMoist Greenhouse VS Runaway Greenhouse, faites le calcul !

Difficulté : ☆☆   Temps : 15 minutes

Question 1)

Imaginons une planète habitable sur laquelle le mécanisme de Moist Greenhouse serait dominant. Etablir la relation liant la durée de vie de ses océans et le taux d'échappement de son hydrogène vers l'espace.

Question 2)

Prenons le cas de la Terre. En considérant uniquement le mécanisme de Moist Greenhouse, donnez une limite supérieure du temps de vie des océans de la Terre en considérant les résultats du modèle 1D.

Question 3)

Donnez maintenant une limite inférieure du temps de vie des océans de la Terre en considérant les résultats du modèle 3D.


Réponses aux exercices

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Exercice 'Devenir de la Terre'


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Exercice 'Moist Greenhouse VS Runaway Greenhouse, faites le calcul !'