La quête de la vie dans notre système solaire se fait de plus en plus pressante, notamment pour répondre à la question plus générale de savoir s’il y a de la vie intelligente ailleurs dans l’Univers. Par exemple, récemment, il y a eu une annonce fracassante dans les médias concernant la potentielle présence de vie dans l’atmosphère de notre voisine Vénus. Qu’en est-il vraiment ? Nous allons passer en revue les résultats scientifiques de quelques études menées sur le sujet et vous allez ensuite conclure par vous-même quant à la possible présence de vie sur Vénus.
La communauté scientifique s’interroge beaucoup sur cette nouvelle publication qui présente une détection de Phosphine dans les nuages de Vénus. Est-ce réel, et si ça l’est, est-ce que cela veut effectivement dire qu’il y a de la vie sur Vénus ?
Rappelons que Vénus est la deuxième planète en partant du Soleil, située à 0.72 UA, entre Mercure et la Terre. C’est une planète tellurique comme la Terre mais son atmosphère est 90 fois plus massive et composée à 96% de CO2. L’effet de serre y est très puissant et la température moyenne à sa surface est d’environ 464 degrés Celsius (737 K). Il fait plus frais dans les nuages qui peuvent atteindre des températures tempérées à une altitude entre quelques dizaines et 100 km. Mais n’oublions pas que le composé majoritaire des nuages est l’acide sulfurique, ce qui à priori ne paraît pas commode pour le développement de la vie. Cependant, ne soyons pas trop anthropocentrique et avançons plus loin. Il est vrai qu’à priori on ne s’attendrait pas à de la vie sur Vénus à cause de la chaleur étouffante mais plutôt sur Mars. En effet, la vie aurait pu y être présente dans le passé quand la planète était riche en eau, et c’est ce que compte aussi analyser le Rover Perseverance avec, e.g., l’instrument SuperCam que l’on a vu atterrir le 18 février 2021 dernier dans le delta martien du cratère Jezero. La gravité sur Vénus est très similaire à celle sur Terre car rappelons que Venus et la Terre sont très ressemblantes en termes de masse et rayon (presque jumelles).
Maintenant que les bases sont posées, je vous invite à consulter la figure ci-contre pour voir les résultats de la première étude qui est parue sur le sujet de la Phospine dans Vénus.
Sur la figure, on voit deux spectres (en noir) centrés sur une longueur d’onde proche de 1.123 mm obtenus avec - à gauche : le télescope James Clerk Maxwell en juin 2017 (JCMT situé à Hawaï à 4 km d’altitude) et – à droite : avec ALMA en mars 2019 (un ensemble d’environ 66 antennes situé à 5 km d’altitude dans le désert d’Atacama au Chili). Sans rentrer dans les détails, on voit qu’il y a l’air d’y avoir une chute du signal quand on se rapproche de 0 km/s sur l’axe des abscisses. Le rayonnement qui provient des couches profondes de Vénus que l’on observe dans le millimétrique semble partiellement absorbé à la longueur d’onde d’observation, proche de 1.12 mm. Cette absorption serait créée par un composé gazeux qui se situerait dans la haute atmosphère de Vénus et qui capterait les photons qui devraient, sinon, arriver jusqu’à nous.
Les auteurs de l’étude (Greaves et al. 2020) concluent que l’absorption est située au même endroit que la raie de phosphine (plus spécifiquement la raie de transition rotationnelle PH3 1-0 à 1.123 mm) et que ça doit donc être de la phosphine qui est dans la haute atmosphère de Vénus et qui crée ce signal en absorption. Les auteurs concluent aussi qu’il doit y avoir environ 20 molécules de phosphine par milliard de molécules (souvent écrit 20 ppb) d’air vénusien (en majorité du CO2) au-delà de 55 km d’altitude dans l’atmosphère de Vénus. La phosphine est détruite rapidement dans la haute atmosphère de Vénus (quelques heures) en interagissant avec les rayons UV provenant du Soleil et il faut trouver un mécanisme qui puisse en produire de manière durable pour expliquer cette détection (par exemple sur Terre, la phosphine est produite industriellement et est employée dans la composition des pesticides). On peut alors calculer qu’on a besoin d’un taux de production de molécules de phosphine par cm2 et par seconde pour obtenir 20 ppb de phosphine au-delà de 55 km. On peut en déduire le taux de production global de phosphine sur Vénus et on obtient ~3 kg/s ou tonnes/an.
Un autre papier par l’équipe des découvreurs (Bains et al. 2020) explique que la phosphine ne peut être produite à ce niveau de 20 ppb sans faire appel à des processus non-conventionnels comme par exemple de la vie microbienne dans les nuages de Vénus à haute altitude (55 km) où la température est plus clémente.
Suite à ces deux articles, la communauté scientifique s’est montrée quelque peu sceptique quant à la véracité de la détection de phosphine et son attribution potentielle à des formes de vie. De nombreux papiers ont fait état de certains doutes et nous allons en voir quelques-uns maintenant.
Il y a eu le papier de Villanueva et al. qui a été soumis directement au journal qui avait publié les résultats de Greaves et al. (Nature Astronomy) comme une réfutation des résultats (dont le titre est : « Pas de Phosphine dans Vénus », ce qui donne le ton). Ils montrent trois choses importantes : 1) Une raie de SO2 (un composant que l’on sait être présent en grande quantité dans les nuages de Vénus) est très proche de la raie de phosphine et la résolution spectrale des instruments utilisés ne permet pas de totalement les séparer, ce qui peut amener à de la contamination par le SO2 à la longueur d’onde d’observation. Ils vont encore plus loin et montrent que l’on peut en fait expliquer l’observation du JCMT en mettant 100 ppb de SO2, une quantité qui semble plausible aux vues d’observations précédentes qui montrent que le taux de SO2 peut atteindre 1000 ppb par endroit sur Vénus. 2) Si c’est vraiment de la phosphine, alors elle ne peut pas être à 55 km comme indiqué dans le papier originel mais doit se situer au-delà de 70 km (i.e., au-delà des nuages), ce qui pose alors de gros problèmes pour produire une telle quantité de phosphine alors que le taux de destruction devient beaucoup plus élevé car il y a encore moins de protection vis-à-vis des photons UV solaires. 3) Après une nouvelle analyse des données ALMA, Villanueva et al. arrivent au spectre bleu dans la figure de droite ci-contre.
Sur le spectre de droite corrigé par Villanueva et al., on ne voit plus d’absorption vers 0 km/s et la raie de phosphine qui produirait 20 ppb (en rouge) ne colle donc plus du tout aux données. La courbe en vert montre le nouveau niveau potentiel de SO2 qui pourrait expliquer les données (i.e. 100 ppb). Le niveau de SO2 semble cohérent avec les nouvelles données. C’est clairement une limite supérieure de SO2 que l’on obtient et non une détection.
Les auteurs d’une autre étude (Encrenaz et al.) ayant comme première auteure une astronome de l’Observatoire de Paris ont cherché une raie de phosphine à une autre longueur d’onde en utilisant un observatoire Hawaïen (dans l’infrarouge vers 10 microns plutôt que dans le millimétrique) pour pouvoir mettre une limite supérieure sur la quantité de phosphine grâce à cette nouvelle raie. Ils trouvent qu’il ne peut pas y avoir plus de 5 ppb de Phosphine sinon ils auraient détecté une raie dans l’infrarouge (et ils n’en détectent pas !).
Tout cela a poussé les auteurs de l’étude originelle à revoir leurs analyses initiales. Ils ont publié un nouveau papier revoyant leurs prédictions à la baisse. Il y aurait finalement 1 ppb de Phosphine plutôt que 20 ppb d’après les données ALMA. Ceci est plus en accord avec les résultats infrarouges et pourrait aussi être expliqué par des phénomènes naturels tels que la production de Phosphine par du volcanisme et/ou des éclairs sans faire appel à une vie microbienne.
Difficulté : ☆ Temps : 13 min
Qu’est-ce que l’aventure de la Phosphine sur Vénus montre sur le processus scientifique de revue par les pairs et la possibilité de mettre en doute de nouveaux résultats ?
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Une autre étude par Lincowski et al. (Février 2021) confirme qu’il semble en effet plus probable que les observations montrent en fait une raie de SO2 plutôt que de la phosphine. Un nouvel article de Snellen et al. montre que l’absorption de phosphine vue sur le spectre ALMA serait simplement un faux positif dû à la méthode utilisée pour extraire le signal (ajustement et soustraction des données avec des polynômes de degrés 12). Encore plus récemment, Thompson montre que cela pourrait aussi être le cas pour le spectre JCMT. Que pensez-vous alors de cette annonce fracassante de détection de phosphine potentiellement liée à une forme de vie microbienne ?
Les chercheurs sont encore en train de travailler sur le sujet. Comment pourrait-on aller encore plus loin et mettre toutes les parties d’accord alors que les observateurs originels maintiennent leur position (néanmoins après quelques ajustements non négligeables) et que la majorité des chercheurs semble toujours en désaccord ?
Cette épopée semble faire écho à ce qu’il se passe aussi avec 1I/ʻOumuamua, un objet interstellaire qui a traversé notre système solaire en 2017 et qui est affiché comme étant potentiellement une sonde extraterrestre (par exemple d’après le livre récemment publié par Dr. Loeb, chercheur à Harvard). Pouvez-vous en dire plus sur 1I/ʻOumuamua, cette polémique, et donnez votre avis ?
Tout ce chapitre montre bien que la recherche de vie va être épineuse et qu’il va falloir s’armer de patience et vérifier les résultats par plusieurs méthodes indépendantes avant de donner des confirmations objectives. Même si l’on reçoit la valeur de π jusqu’à sa centième décimale dans un signal radio ou un pulse laser, il faudra quand même être sûr de la provenance et que cela ne peut pas être le fruit du hasard (ça parait très difficile mais il faudra se poser la question et ne pas verser dans le non-scientifique et dans les théories du complot). A très bientôt pour de nouvelles découvertes !